Le prix du Blanc...
Lucien est originaire d'une petite ville de province du nord de la France, et il vit à Mayotte depuis des années. Plusieurs années. Deux dizaines d'années en réalité.
Il a épousé une mahoraise devant Mr le Maire du village et ils ont ensemble une petite fille. Pas avec Mr le Maire, avec sa femme. Oui, enfin vous avez compris: pas non plus avec la femme de Mr le Maire, Lucien a eu une fille avec sa femme mahoraise. Bref.
Il y a quelques années, l'idée vint à Lucien d'acheter un terrain sur l'île. Il fait donc les démarches nécessaires, visite les agences, demande autour de lui, et à chaque fois, la réponse est la même: il n'y a pas de terrain à vendre sur Mayotte. Oui, sauf que régulièrement il apprend par sa femme que un tel vient d'acheter un bout de terre et que l'autre un tel a un terrain à vendre. Mais dès qu'il se propose d'acheter, il n'y a plus rien.
Lucien met des mois avant de comprendre que sa couleur de peau est en cause. Il est Blanc, il est étranger et pour les mahorais, il n'est pas question de vendre la terre à un Blanc. Ou alors, très cher.
Alors Lucien fait ce que tout le monde aurait fait à sa place: il envoie sa femme chercher un terrain à acheter et, finaude, elle se présente à chaque fois avec son oncle, qui a donc la même couleur de peau qu'elle.
Quelques jours après, la femme a trouvé un terrain de rêve: 1 500 m2 de terre à 200 m d'une plage. Tout ceci pour 25 euros le m2. Une paille, quand on sait que les prix proposés aux Blancs sont plutôt dix fois plus élevés.
Je n'ai pas tous les détails de l'affaire, mais Lucien me raconte que ce n'est qu'au moment de signer chez le notaire que le vendeur à voulu se rétracter, voyant la couleur de peau du m'zungu. Oui, mais c'était trop tard: le compromis de vente était également signé, et j'imagine que de l'argent avait été versé en accompte. Argent qui a dû être dépensé peu de temps après, ce qui fait que le vendeur n'avait pas le choix que d'aller jusqu'au bout de la vente.
Lucien se félicite; il a fait une belle affaire. Mais il a perdu ses illusions au passage: lui qui se croyait intégré à la société mahoraise, il a pu voir que "ses amis" ne voyaient en lui qu'une couleur de peau différente, et une richesse différente également.
Lui qui ne se préoccupait pas du tout des prix pratiqués à Mayotte s'est rendu compte dans la foulée que le prix qu'il payait ses tomates ou sa salade au marché était plus élevé que lorsque c'était sa femme qui allait acheter la même chose. Lamentable. Oui. Dégueulasse. Oui aussi.
Il faut juste savoir que les prix sur le marché ne sont pas affichés. Aussi, le prix est en fonction de la couleur de la peau. Et il ne sert à rien de discuter, vous ne connaîtrez pas le prix réel, sauf si vous envoyez une bouéni faire le marché à votre place. Et encore, elle-même pourrait vous prendre une petite commission au passage pour le service rendu. Parce que c'est bien connu, le Blanc est riche.
Gageons ensemble si vous le voulez que la départementalisation prévue en 2011 changera les choses. Il parait évident qu'un propriétaire de terrain sera obligé de vendre selon les lois du marché et qu'une vendeuse de primeur se devra de mettre une petite affichette avec les prix des marchandises.
Mais alors, qui paiera le prix réel ... les mahorais ou les blancs ???
Il y a onze ans, quand j'ai quitté la métropole pour les îles, un ami antillais m'avait dit: tu verras, tu vas vivre le racisme à l'envers, ça peut être marrant...!!
Il avait raison, je suis morte de rire.
Kaay à Mayotte