On imagine souvent le taxi-brousse comme une vieille voiture finissant ses jours sur le continent africain. On n'a pas tout à fait tort. Quand je suis arrivée il y a quatre ans, les autos faisaient peine à voir: de vieux tacots tenants à peine debout, une corde servant la plupart du temps de poignée. Les voitures étaient le plus souvent de troisième main laissées contre une petite somme par des m' zungus en partance pour une autre destination, ou ramenées de la Réunion par des Mahorais du cru.

Depuis deux ans, grâce à certains concessionnaires et grâce aussi à un niveau de vie plus élevé, les taxis-brousse sont résolument plus modernes. Tant mieux pour la sécurité, tant pis pour le folklore...

Taxi-brousse le matin, taxi-brousse le soir, laissez-moi vous raconter un trajet typique.

Sur la route, je fais signe au taxi qui passe. S'il reste de la place, il s'arrètera pour m' emmener à l'endroit désiré. La plupart du temps, il me fera un signe de la main pour me dire que la voiture est pleine ou qu' il ne va pas dans ce sens ou qu'il rentre chez lui...bref, il ne peut pas me prendre. Naïvement au début, je pensais que le chauffeur me disait bonjour et je lui répondais du même signe, jusqu' à ce que je comprenne que son geste signifiait qu'il ne voulait pas de moi. Je suis vraiment trop bonne avec un grand C.

Imaginez une petite voiture, prenons une 207 ou une Ford Fiesta: déco très primesautière, fleurs en plastique jaunes, rouges et vertes sur le tableau de bord, un CD au rétroviseur intérieur pour faire boule disco. Amoureux du kitsch, come on...

Si c'est mon jour de chance, j' aurais une place à l' avant d'ou je pourrais profiter de la vue. Si c'est pas de bol, je monterais à l'arrière. Et si c'est vraiment pas de bol, je serais à l'arrière et AU MILIEU. Coincée entre deux bouénis de 98 kg chacune, qui me feront sentir à quel point je suis toute petite. Donc, me voici prise en sandwich entre deux canons de beauté locale dont une avec un bébé sur les genoux.

Le chauffeur veut nous assurer que sa stéréo c'est d' la bombe et met la gomme au niveau du son. Y a pas, les Japonais sont vraiment les meilleurs. Au choix, dernier tube de la musique mahoraise ou musique Arabe-retour-de-la-Mecque. Pour s'entendre parler, il faudra crier plus fort que la stéréo car nul ne songerait à baisser le son, quelle idée...!!

La Star' Ac peut commencer. Y a toujours un adolescent pré-pubère et acnéique qui confondra ses genoux avec un tam-tam et qui chantera le tube de l'été à tue-tête.

C'est toujours à cet instant que j' éteins mon MP3, parce que Mathieu Chédid a beau me chanter dans les oreilles à quel point il est fou de moi, il ne fera jamais le poids face aux décibels de Latéral, la star locale.

La voiture démarre en trombe. Vrroom... 20 km/h et il est à fond...!! passé le petit frisson à la Raikonen, le chauffeur lève le pied pour descendre à 15 km/h. Faut pas déconner non plus. Il ne quittera pas cette vitesse (on parle de vitesse à ce niveau-là...), même pour doubler un scooter. Tant pis, il restera derrière le deux-roues. Un vieux sage m'a dit un jour qu'il ne servait à rien d' aller chercher sa mort avant l' heure. Certes, certes...vu comme ça...

Les deux bouénis se racontent leurs journées, l' ado s'éclate à la batterie, et le chaufeur se retourne pour me demander à quel endroit tu descends madame. J'essaie tant bien que mal de lui crier ma destination quand le bébé me prend les cheveux que j'ai le malheur d' avoir longs. La tête penchée sur le côté à cause des petits doigts qui tirent sur ma tignasse, je tente un sourire légèrement crispé pour faire comprendre à la maman que si son bambin voulait bien me lacher, ce serait vraiment très sympa. Oui, mais je deviens le clown qui fait rire le gamin et quel monstre oserait lui retirer son jouet, hein...

Une des bouéni fait signe au chauffeur de s'arréter. Il stoppe son véhicule à l'endroit précis ou la dame lui demande. Au milieu de la rue ou sur un carrefour. Elle prend son régime de bananes dans le coffre, puis cherche sa monnaie au fond de son sac. Une minute, deux minutes, elle tend un billet et attend sa monnaie. On est toujours au milieu de la route, et c'est toujours là que je me dit qu'un fou du volant va nous percuter à l'arrière par 12km/h.

Alors que le chauffeur redémarre, oui parce qu'il avait coupé le moteur, son cousin arrive en sens inverse. La discussion commence, on prend des nouvelles et comment ça va...jusqu'à ce qu'une tape sur l'épaule lui rappelle qu'on voudrait bien rentrer chez nous. La deuxième bouéni lui fait signe ...10 mètres plus loin. Pas question de se taper les 10 m à pied, non mais alors...!! Re-je prends mes courses dans le coffre et re-je cherche ma monnaie dans le fond de mon sac.

L'ado apprenti-tambour habite plus loin que chez moi, mais il a un rendez-vous avec sa chérie et ce serait gentil à toi madame si je pouvais le déposer avant. Va mon gars, chuis plus à ça près... Arrivé à destination, le portable du djeune sonne quand celui-ci cherche sa monnaie au fond de son sac. Le portable ou la monnaie. La monnaie ou le portable. Finalement, l'appel téléphonique est le plus urgent et j'attends tranquillement que la communication prenne fin. Le chauffeur a encore éteint son moteur. Au bout de deux minutes, je sors la tête par la fenêtre et lâche un Haraka, vite active toi un peu, garçon.

300 mètres plus loin, le chauffeur me dépose en face de ma case. En voiture " normale", le trajet m'aurait pris 3mn 42 sec.chrono. Là, j'ai mis 14 mn à rentrer chez moi. Entre-temps, un homme est monté dans le taxi et il doit AB-SO-LU-MENT prendre la barge suivante. Comme je suis une femme intelligente et sage, et que je ne fais pas tout comme tout le monde, j'ai prévu la fin de la course et tiens dans la main les 1.10 euros pour payer le taxi, ceci afin de ne pas faire perdre du temps à tout le monde à CHERCHER MA MONNAIE AU FOND DE MON SAC...!!

Oui, mais si j'avais coupé le son de mon MP3, je n'avais pas ôté le casque de mes oreilles et celui-ci se prend dans les anses de mon sac à main. Et me fait lâcher les pièces sur la route. Le chauffeur éteint son moteur, l'homme pressé attend patiemment que je récupère mes sous et fini par me lâcher au bout de deux minutes un Haraka beaucoup moins paisible.

Heu....finalement, le trajet m'aura pris 17mn...!!

Kaay à Mayotte

Les taxis brousse...

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